Azerbaïdjan: quand la chasse aux démocrates s’aggrave, la paix s’éloigne

Article publié dans le Huffington Post le 6 mai 2014

Jean-Luc Bennahmias
Jean-Luc Bennahmias

Ce 28 avril, Leyla Yunus, la célèbre militante azerbaïdjanaise des Droits de l’Homme, décorée en 2013 de la Légion d’Honneur, a été violemment empêchée de prendre l’avion pour Paris alors qu’elle s’apprêtait à embarquer à Bakou. Elle et son mari se rendaient à une conférence organisée par la Commission européenne à Bruxelles. Ils venaient d’obtenir un visa pour la France et étaient escortés par le secrétaire de l’ambassade de France et le Chargé d’Affaires de l’Ambassade des Etats-Unis en Azerbaïdjan. Sans qu’ils sachent ce qui leur était reproché, sans même qu’ils aient pu voir un mandat, les Yunus ont été reconduit à leur appartement où ils ont été sommé de présenter des « preuves ».

Refusant l’accès arbitraire et illégal à son appartement, Leyla Yunus s’est vu interdire l’accès à des toilettes fermées et elle a été contrainte de satisfaire ses besoins naturels sous la surveillance visuelle d’un policier de sexe masculin. Les conditions de stress et de violence ont été telles qu’Arif, son mari qui se remettait à peine d’une attaque cérébrale, a dû être à nouveau hospitalisé en urgence au grand dam des enquêteurs qui hurlaient au « simulacre ».

Devant le tollé international, quoique toujours interdite de sortie de territoire, Mme Yunus a finalement été relâchée, sans qu’elle ait su de quoi elle et son mari étaient soupçonnés ou accusés.

La chasse aux sorcières: diffamation, allégations, machination

Mais en réalité, tout le monde sait de quoi ils sont coupables. En Azerbaïdjan, c’est un crime politique qui n’est inscrit dans aucun code pénal mais dont les conséquences sont bien réelles: Leyla et Arif Yunus militent pour les droits civiques, s’opposent à la politique belliqueuse du président Aliev et appellent ouvertement à un dialogue entre les sociétés civiles arménienne et azerbaïdjanaise.

Trois jours avant cette arrestation, Leyla Yunus et son homologue arménienne Laura Baghdasaryan avaient cosigné un appel intitulé « ensemble pour la paix pour nos enfants ». Quant à son époux Arif, analyste politique réputé et auteur de plusieurs ouvrages et centaines d’articles, notamment sur le conflit du Haut-Karabagh, voici plus de dix ans qu’il participe à des conférences en Arménie. En 2011, les bureaux de leur ONG, l’Institut pour a Paix et la Démocratie, avaient déjà été détruits au bulldozer, au prétexte de la construction d’un parc à la gloire de l’ancien KGBiste Heydar Aliev, précédent président azerbaïdjanais et père de l’actuel.

Pour être emblématique de la politique répressive de Bakou, le cas du couple Yunus n’est ni le premier, ni le seul. Souvent, ceux qui militent pour un rapprochement avec les Arméniens voisins sont eux-mêmes accusés d’être arméniens – une « accusation » grave et dangereuse dans un pays qui cultive la haine anti-arménienne. C’est ce qui est arrivé au journaliste Rauf Mirgadirov, lauréat du prix international Gerd Bucerius, qui a eu l’immense tort de participer à des débats critiques et même à des conférences en Arménie. Récemment expulsé de Turquie, M. Mirgadirov a été arrêté ce 19 avril et emprisonné sous la charge grotesque d’espionnage pour l’Arménie.

Mais accuser ses opposants de trahison n’est pas la seule façon de les discréditer. En mars 2012, Khadija Ismayilova, directrice de publication de la branche azerbaïdjanaise de Radio Liberté a reçu un courrier lui enjoignant de « bien se conduire » au risque d’être diffamée. La lettre était accompagné de photos intimes d’elles, prises à la dérobée. Une semaine plus tard, une vidéo issue d’une caméra cachée chez elle et montrant ses ébats sexuels circulait sur l’Internet alors que, comme par hasard, elle subissait simultanément une violente campagne de dénigrement de la part du parti au pouvoir.

Corrompre la communauté internationale pour faire taire la critique extérieure

Mis bout a bout, ces agissements bien connus et les autres manquements de l’Azerbaïdjan aux principes de base des Etats de droit remplissent des rapports entiers. Des organisations telles que Index of CensorshipArticle 19 ou l’European Stability Initiative (ESI) ont longuement détaillé les menaces qui pèsent dans ce pays sur tous les partisans de la liberté d’expression et, plus généralement sur tous ceux qui critiquent la ligne autoritaire et affairiste du clan au pouvoir.

Elles ont également pointé comment – par la « diplomatie du caviar », et celle non moins puissante du pétrole – l’Azerbaïdjan achète et corrompt des parlementaires des pays européens afin de se refaire une virginité. Ainsi, en février de cette année et pour la première fois, le Parlement européen lui-même a dû envisager une procédure disciplinaire à l’encontre de certains de ses membres.

On peut certes se féliciter de la réaction « consternée » du Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe qui « souligne » que l’affaire Yunus « est un exemple supplémentaire montrant l’étendue de l’intimidation et de la répression des voix critiques en Azerbaïdjan » et qui appelle ce pays à « prendre des mesures urgentes pour garantir que les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion ». Mais on peut aussi déplorer que ce même Conseil de l’Europe ne soit pas plus ferme dans sa condamnation quand Bakou emprisonne ceux-là mêmes qui travaillent pour lui: comme le note l’ESI, Ilgar Mammadov et Anar Mammadli qui avaient renseigné le rapporteur de l’Assemblée Parlementaire (APCE) sur la situation des prisonniers politiques « ont fait confiance au Conseil de l’Europe. Tous deux ont été arrêtés en 2013. Mammadov a été condamné à sept ans de prison en mars de cette année. Le procès de Mammadli a commencé le 21 avril 2014. A croire que les autorités de Baku avaient décidé de tirer la langue à l’APCE ». Début mai, l’Azerbaïdjan prendra la Présidence du Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe. Dans ses conditions, est-ce acceptable?

La persécution des opposants menace la paix et la sécurité régionale

Au premier chef, ces abus sont bien évidemment préoccupants pour ceux qui en subissent les conséquences mais, plus largement, ils le sont également aussi pour la paix et la sécurité régionale. Les personnes arrêtées, menacées ou torturées constituent la frange la plus démocratique de la société azerbaïdjanaise, celle qui a compris que les rhétoriques de guerre restent sans issue et que le développement régional passe par le dialogue et la réconciliation avec la République voisine du Haut-Karabagh. L’ambassade britannique en Azerbaïdjan n’a-t-elle pas déclaré sa préoccupation face à l’arrestation des Yunus en rappelant qu’elle a « financé des projets gérés par les Yunus visant à soutenir un environnement plus propice à la résolution pacifique du conflit du Haut -Karabagh »? En laissant l’autocrate de Bakou persécuter ces courageux militants, la Communauté internationale lui signe un blanc-seing pour la reprise d’un conflit qui serait désastreux pour toute la région et qui accroîtrait un peu plus le chaos aux portes de l’Europe.

Dans moins de cinq jours, le Président Hollande doit se rendre en Arménie, en Géorgie et en Azerbaïdjan. A cette occasion, je l’invite à rappeler avec vigueur à son homologue azerbaïdjanais les engagements pris par l’Azerbaïdjan lors de son adhésion au Conseil de l’Europe et à la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Et comme tout Européen, je souhaite également qu’il enjoigne fermement les autorités de ce pays à donner des gages de crédibilité dans leur volonté d’aboutir à une solution pacifique et négociée du conflit du Haut-Karabagh, en libérant et en abandonnant les poursuites abusives contre ces démocrates qui représentent l’espoir d’un futur meilleur pour leur pays et pour la région.

Jean-Luc Bennahmias est député européen
et membre du Cercle d’Amitié France-Karabagh